
Covers vol.1 est-il précisé sur la pochette. Il y aura donc une suite à ce premier exercice de style. Amorce de Mémoires en chansons ? « Quand la vie commence à se défaire, on éprouve la nécessité intérieure de la raconter » observe le sociologue David Le Breton. Quinze covers donc, Soul, Gospel et Rythm’n’blues, plutôt copieux. A73 ans, Springsteen se retourne sur sa jeunesse dans une Amérique ségrégationniste, sur la musique qui l’a accompagnée. Hommage et nostalgie. Plus que le compositeur, elle a façonné l’auteur et sa personnalité d’artiste engagé sur tous les fronts, contre le racisme, contre le nucléaire, pour les droits LGBT, pour la paix, inlassable avocat des classes populaires et des damnés de la terre. L’abondance de titres dit l’embarras de l’arbitrage dans la profusion des possibles. Cependant, nulle vraie surprise dans la sélection des artistes embarqués dans l’entreprise, d’autant que Springsteen avait levé le voile en se mettant opportunément en scène à l’approche des fêtes de Noël, juste avant la sortie de son disque. Standards ou titres plus obscurs de la Stax et de la Motown principalement, il chante avec une ferveur égale et semble prendre un réel plaisir à faire revivre le passé. « J’ai choisi des chansons qui me rendaient heureux, que j’avais envie de chanter » précise-t-il à R.Manzoni . Il est adoubé par Sam Moore (Sam & Dave) en renfort sur deux titres Soul days de Dobie Gray (2000) et I forgot to be your lover (1968) de William Bell. S’il n’a pas le grain de voix qui essentialise pour le meilleur la musique noire, le septuagénaire vigoureux, celui que nous montre la photo, a gardé une voix puissante. « Après avoir écouté les prises de son je me suis dis, ma voix est terrible, j’ai 73 ans et ma voix dépote ! » Au point d’être parfois décalée car l’expression qui sert bien le rock, son terrain de jeu, n’est pas toujours la plus appropriée dans les registres dont il s’empare ici. « J’ai toujours pensé que ma voix était forte comme un cheval de labour, c’était une voix d’ouvrier. J’ai toujours pu crier plus fort que tout le monde. J’avais une voix qui était faite pour vous submerger. » Il poursuit : « Elle était en meilleure forme que je ne le pensais. Quand je me suis concentré sur le chant, et seulement là dessus, ça m’a permis de revenir à l’époque où je chantais dans de ce que l’on appelait les cover-band, des groupes de reprises, aux États-Unis… Cela m’a permis de revenir un peu en arrière et de choisir des chansons que j’aimais, des chansons que je pouvais vraiment bien interpréter, m’amuser à recréer ces disques dans mon studio. » Des reprises certes, mais une relecture ne peut ni ne devrait être une copie. Pourtant… « Avec mon producteur, Ron Aniello, on a essayé de se rapprocher le plus possible du disque original. C’était un grand défi pour lui ». C’est précisément là que le bât blesse, car aussi appliqué soient-ils, aussi performant que soit Ron Aniello producteur et plus encore, multi instrumentiste au four et au moulin, aussi irréprochable que soit la section de cuivres du E.Street Band, Springsteen reste en deçà des Walker Brothers (The sun ain’t gonna shine anymore), en deçà des Commodores (Nightshift), en deçà de Ben E.King (Don’t play that song). Certes il actualise le spectre sonore, mais ne remet que cela sur le métier. Après quoi il fait du Springsteen, rugueux, tonitruant; il nous « submerge ». Et cependant, c’est très exactement là le point de ralliement, celui qui à chacun de ses disques s’ouvre sur une émotion partagée ; sur le sensible qu’il active toujours efficacement. Adresse à son public, l’intitulé même de l’album n’en appelle-t-il pas à cela ? Only the strong survive –Seuls les forts survivent- (Jerry Butler 1969) : « C’est une phrase classique de résilience elle parle simplement de la résilience humaine ; c’est comme ça que nous utilisons la musique. Nous utilisons la musique pour nous faire avancer, pour nous élever, pour nous lever le matin, pour nous coucher le soir, pour faire battre nos cœurs ; c’est juste un titre génial et fort : vous devez continuer à vous battre. » Springsteen, combien de divisions ?
Un disque Columbia